Western au Kurdistan

Etat d’esprit maussade, à traîner son corps et son esprit sous la grisaille de Paris quand l’idée subite m’est venue : pourquoi ne pas aller au cinéma voir « My sweet Pepper Land » ? Plusieurs semaines que je me disais qu’il fallait que j’y aille, mais le beau temps n’aidant pas, j’avais relégué cette activité dans un coin éloigné de ma tête. De la pluie de Paris à lui pluie du Kurdistan il n’y a qu’un pas, et deux heures de plaisir passées au cinéma.

Synopsis: 

Le film suit l’histoire de deux personnages venus s’installer dans le village de Qamarian situé dans la province désormais autonome du Kurdistan irakien. Govend est une jeune institutrice de vingt-huit ans qui retrouve le poste qu’elle avait quitté au village. Baran est un ancien résistant kurde qui reprend du service dans la police afin d’échapper à sa mère souhaitant le marier. Tous deux libres d’esprit se retrouvent dans ce coin reculé de l’Irak où fonctionne encore un système féodal officieux. Le « seigneur » de la montagne, Aziz Aga, voit d’un mauvais œil l’arrivée de ce nouveau policier décidé à faire respecter la loi du pays, ainsi que la présence d’une institutrice célibataire.

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Tous les éléments sont réunis pour faire un bon western :

Le shérif au chapeau de cowboy, circule à cheval, et doit faire face à un refus de son autorité étatique par une autorité ancestrale. Il s’oppose seul avec un faible adjoint à un clan d’hommes supposés hors-la-loi, et qui ont la main-mise sur la population locale. Tels les shérifs américains envoyés dans l’Ouest pour y imposer le gouvernement de Washington et éviter la profusion des bandes armées, Baran, mais aussi Govend, font ici figures de civilisateur. L’un apporte la loi, l’autre la connaissance, mais ils apportent surtout une liberté de pensée et un changement de mentalité de l’Irak d’après Saddam, que l’on suppose venir de la ville. Les premières images du film, où la mère de Baran tente de lui faire rencontrer des femmes à marier, montre que, contrairement aux idées reçues, les femmes en Irak ne sont pas toutes voilées, hormis la mère elle-même, toutes les femmes apparaissant dans le film sont vêtues à l’occidentale. Pourtant, si les mœurs semblent plus libres au début du film : le père de Govend accepte sans trop de difficulté de laisser partir sa fille seule pour enseigner au Kurdistan, à la fin, la mentalité encore engoncée dans la morale islamique revient avec toute sa force : Govend est accusée, par les villageois, et par ses frères eux-mêmes de n’avoir aucun honneur puisque jugée trop proche du shérif. « Vous êtes pires que les soldats de Saddam » leur crie-t-elle alors. La vérité est là, proche du shérif, ce n’est pas de la loi dont la femme irakienne est prisonnière, mais de la mentalité des hommes. La distinction entre les deux protagonistes et le reste des personnages s’effectue rapidement : la bande originale alterne musique traditionnelle avec des plans sur le village et les montagnes, et musique occidentale, musique française pour Govend, américaine pour Baran, lorsque la caméra filme ces derniers dans leur intimité.

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La question kurde

En fond une autre histoire se dresse : celle de la guerre kurde pour l’indépendance. Deux clans s’opposent : les combattantes kurdes du PKK, et le seigneur Aziz Aga et ses hommes qui refusent de voir ces femmes sur leurs terres. Sa haine n’est jamais expliquée : de même que le shérif demande à Govend si ce qui déplaît à Aga est le fait d’avoir une institutrice ou d’avoir une femme seule, on ne sait pas si ce qui le dérange est d’avoir des résistants kurdes de Turquie, ou le fait que ce soient des femmes. La difficulté que rencontrent les deux héros à aider ces combattantes témoignent de la complexité de la question kurde dans cette région : si le Kurdistan irakien est autonome, les kurdes turcs et iraniens combattent toujours pour leur indépendance, mais leur lutte armée n’est pas forcément dans l’intérêt de leurs frères ethniques. Le sujet est grave et pourtant conserve un ton presque comique tout au long du film. Des scènes absurdes et de l’humour noir qui tranchent avec la réalité et la gravité des thèmes abordés : peine de mort, contrebande de médicaments, manque d’éducation, etc.

 

Un film émouvant et esthétique

Golshifteh Farahani et Korkmaz Arslan donnent au film toute sa puissance. Farahani, l’actrice iranienne bannie d’Iran pour sa carrière occidentale et qui a déjà tourné avec Hiner Saleem dans « Si tu meurs je te tue »,  est encore plus belle dans ces vêtements des montagnes. Femme seule et indépendante en proie aux obstacles de la morale et qui trouve son seul soutien dance cet homme ayant fuit la ville pour éviter les mêmes contraintes que lui imposaient les traditions. Malgré les bruits et les jugements des villageois, ou peut-être grâce à eux, les deux personnages se trouvent et se comprennent. Le visage grave et mélancolique, Faharani donne une grande force au personnage et transmet  toute la tristesse et la résignation que connaissent les femmes au Moyen-Orient. Korkmaz Arslan lui donne la réplique, captivant le spectateur de son regard jaune et perçant en shérif calme, silencieux et sûr de lui.

Enfin, le film fait découvrir la province du Kurdistan irakien, région coincée entre les montagnes, à la fois sèche et pluvieuse. Le film est sombre, la pluie et l’orage menacent à chaque scène, jusqu’à se déverser lors du dénouement, sans pour autant dissiper la brume et les nuages qui recouvrent la mentalité des hommes en Irak. Ce paysage est incroyablement mis en valeur par la musique mélancolique elle aussi de Farahani qui compose et joue elle-même de cet étrange instrument : le hang, seule au milieu de la montagne, son écho se répétant jusqu’aux oreilles du shérif, portant en elle l’espoir de cette nouvelle génération d’irakien post-saddam.

my_sweet...

 

Pour en savoir plus:

– dossiers et articles du monde diplomatique sur la question kurde, ou sur les élections en Irak.

– Entretien de Golshifteh Faharani pour Télérama

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