Qu’on se le dise, la danse irlandaise est un sport de compétition. Oui, vous avez bien lu, de compétition : avant d’illuminer les planches avec des spectacles mondialement connus comme Lord of the Dance ou Riverdance, ces danseurs ont tous participé pendant de longues années à des compétitions ou championship qui se déroulent un peu partout dans le monde mais surtout, chose peu étonnante, en Grande-Bretagne.
Ma passion pour l’Irlande et ses danses traditionnelles date de mon enfance. J’avais alors six ans lorsque mes parents m’ont emmenée en voyage en Irlande, outre la pluie deux souvenirs me restent : le premier est celui d’un pub dans lequel je me faufilais parmi de grands hommes barbus – dont mon père faisait partis – chacun une chope de bière à la main, la fumée rendait la pièce brumeuse et tout n’était que rire et musique entraînante ; le second je ne sais même plus où il se situe, ni quand, si on me l’a seulement raconté ou si je l’ai vraiment vécu, je ne me souviens que de l’admiration que j’ai éprouvé à regarder des gamines, à peine plus âgées que moi, effectuer des danses rapides et aériennes sur cette même musique entraînante. Je crois que c’est ce jour-là que je me suis dit « Je veux apprendre à faire ça ».
l y a plein de talents qu’on aimerait posséder dans une vie, de choses que l’on voudrait apprendre, et je ne suis pas peu fière d’avoir réalisé un de mes projets d’enfance. Si c’est la danse irlandaise qui m’a toujours attirée, notamment parce que je devinais cette discipline difficile et impressionnante, j’ai commencé par faire de la danse bretonne, dans une ambiance bon enfant, pour participer aux fest-noz –bals bretons- où l’on danse en groupe ou en couple. C’est lorsque le film « JIG » est sorti, en 2012 que mon envie de faire de la danse irlandaise s’est transformée en besoin. Le film est un documentaire sur les world championships se déroulant chaque année à Glasgow et qui accueillent 6000 participants venus de tous les pays pour gagner le titre de champion du monde de danse irlandaise. J’ignorais alors, comme vous, que ce sport était un sport de compétition. Le film dévoile un monde à part, peuplé de claquettes, de perruques, de robes trop brillantes, de filles qui abandonnent leur vie pour remporter ce titre prestigieux. Ca m’a semblé drôle mais irréel, et voilà que deux ans plus tard, je me retrouve à mon tour sur les planches, vêtues d’une robe à paillettes, trop maquillée, trop coiffée, les pieds douloureux, le sourire figé pour montrer aux juges qu’aujourd’hui c’est moi la meilleure danseuse.
Bien sûr je ne participe pas encore aux championnats du monde mais à des « Feis » ou compétitions en gaëlique qui me permettent de valider des danses et de passer au niveau supérieur. Je n’avais pas compris en m’inscrivant à la Sarah Clarke Academy qu’il s’agissait d’une école sérieuse, et que Sarah, la directrice, envoyait dès qu’elle le pouvait ses élèves aux quatre coins de l’Europe pour remporter titres et danses. Mais dans cette ambiance si particulière on se prend vite au jeu, on se met sans trop savoir pourquoi à acheter chaussons, puis claquettes (ou hard shoes), puis une robe, à se dire « la perruque plutôt brune ou avec reflet doré ? », à prendre ses billets pour Cracovie, puis Stuttgart, puis Milan ; puis on se produit dans des bars, dans des défilés. Enfin, sans s’en être aperçue on devient une vraie danseuse irlandaise.
Comment ça fonctionne ?
Il existe quatre niveaux en danse irlandaise : beginners, primary, intermediate et open. La marche entre ces différents paliers peut être très haute et on a besoin de plusieurs années pour la franchir. Dans ces quatre niveaux, il existe en général six danses : quatre en chaussons, deux en claquettes. A côté il existe également bon nombre de danses traditionnelles, identiques partout dans le monde, comme la Saint-Patrick, danse la plus connue et la plus dansée. La chorégraphie de ces six danses est propre à chaque école, chaque professeur décide en respectant les temps et le rythme, ce qui fait qu’en compétition chaque fille produit une danse différente.
La compétition : comme le patinage artistique ou la gymnastique, la danse irlandaise est notée par un juge. Les candidats passent en général deux par deux, puis le résultat final est donné par les juges lorsque toutes les danses d’une même catégorie sont passées. Si le candidat finit 1er ou 2nd dans une danse, il « valide » cette danse et passe donc au niveau supérieur. La déception qui survient lorsqu’on ne gagne pas, ou pire, lorsqu’on arrive 3ème laisse vite place à la volonté de réussir la prochaine et de travailler chaque jour un peu pluss
Ce qui m’a plu dans cette danse c’est avant tout la beauté, la légèreté alliée à la complexité des pas. Même s’il faut du temps pour acquérir une véritable technique, dès les premières danses apprises le résultat est probant et peut impressionner sans forcément être très difficile, la difficulté s’accroît évidemment avec le temps. On peut progresser rapidement en danse irlandaise et exécuter en quelques semaines des pas qui semblaient impossibles à faire. La véritable consécration vient le jour où l’on met pour la première fois ses claquettes, un moment qu’on attend pendant des mois et qu’on regrette aussitôt. Si les soft shoes font déjà souffrir – le principe étant de prendre deux tailles en dessous de sa pointure pour faire de jolies pointes, comme dit ma prof « It has to be like no blood in your toes », et effectivement on ne sent plus ses pieds pendant quelques semaines – les hard shoes sont pires ! Plus lourdes qu’on pourrait s’y attendre, elles donnent à coup sûr des ampoules et ça ne s’arrange pas avec le temps. Les danseuses irlandaises ont en général un paquet de pansements sur elles au cas où. Cependant le plaisir ressenti lorsqu’on parvient ( une fois sur mille) à effectuer une danse de claquette en rythme avec ses partenaires est immense, il naît alors un sentiment de cohésion et d’harmonie.
En deux ans je me suis découverte complètement différente : première chose, j’aime le sport. Moi, celle qui ne supporte pas de courir plus de 50 mètres et qui pleurait avant chaque cours de sport je suis aujourd’hui capable de danser toute une journée, avec des pieds tordus et qui saignent, la douleur physique ne me fait plus peur elle m’apparaît même normale. Deuxième chose, mon appréhension du look kitchissime a totalement été modifiée, j’ai beau avoir conscience que le costume irlandais est ridicule et s’apparente plus à un défilé de mini miss qu’à une danse traditionnelle, je me prends à trouver que tout de même avec des plus gros diamants on a plus de style. Enfin, j’ai découvert le plaisir que j’ai de faire des compétitions, d’être devant un juge et de se confronter à d’autres filles tout en faisant partie d’une troupe, d’une école et en se soutenant les unes – les autres comme une grande famille.
Bref. J’ai testé pour vous l’immersion dans le milieu de danse irlandaise. Et j’ai adoré.
A VOIR: JIG, de Sue BOURNE, 2011
INFO: Sarah Clark Academy